Lettre ouverte à mon Irlande bien-aimée

J’ai habité au Canada. J’ai vadrouillé en Nouvelle-Zélande. J’ai voyagé, je voyage et je voyagerais encore de nombreuses années, de par le monde, ici et là. Pourtant, en dépit de toutes les découvertes qui jalonnent mon existence et mes errances, il est un pays dont je ne suis jamais tout à fait revenu, dont je suis tombé amoureux un jour de Pâques 2003 et où j’ai planté, avant de le quitter, un petit morceau de mon cœur, en terre de Mayo. Depuis, ce petit bout de moi a grandi et a étendu ses ramages au reste de la contrée. De Dublin à l’archipel d’Aran en passant par Galway, Cork et Limerick. Vous l’aurez compris : l’Irlande et moi, c’est une histoire d’amour fusionnelle qui vaut bien une lettre, à défaut d’une messe !

Lettre ouverte à mon Irlande bien-aimée

Ma très chère Irlande,

Cela fait maintenant plus de dix ans que je te connais et que je profite de chaque occasion pour revenir te voir, te saluer et t’embrasser. Te rappelles-tu, ô ma belle, cette première fois ? Te rappelles-tu de mes petits sauts de capri quand j’ai ouvert un courrier m’annonçant que ma candidature avait été retenue et que j’allais pouvoir venir travailler chez toi pendant deux semaines, dans le cadre d’un séjour linguistique dont j’étais l’encadrant ? J’avais saisi l’opportunité d’une annonce entr’aperçue sur un site d’emploi pour postuler, avais semblé réussir l’entretien et avait cru – déjà – en mes chances, en dépit de quelques persiflages d’oiseaux de mauvais augure.

Aujourd’hui, avec le recul, je peux bien te l’avouer, le sourire aux lèvres : tu ne devais être qu’un one-shoot, une simple passage printanière, la compagne d’une nuit au lieu d’être l’amour d’une vie. Je pensais ne faire qu’une simple halte avec toi, brève, rapide et festive. Je ne voyais en toi qu’une petite île où il fait bon boire tout en s’habillant de vert pour célébrer un certain Patrick reptilophobe. Je ne connaissais rien alors de ton Histoire émouvante, écrite dans la souffrance et l’exil. Je ne connaissais rien de tes déchirures intérieures, de ces conflits sanglants, de ces luttes meurtrières. Je ne connaissais rien de ta chaleur, de ta beauté, de ta vie. En fait, je ne connaissais rien de toi, tout simplement. Je suis venu, j’ai vu et j’ai été séduit. Un coup de foudre sur un coup de tête.

D’habitude, il me faut quelques temps pour être séduit et me déclarer ouvertement amoureux. Je suis revenu de ces phases d’euphorie par lesquelles débutent tout voyage, quand tout semble beau, neuf, génial.  Pourtant, en ton cas, c’est immédiatement que j’ai su que j’avais trouvé ce que je cherchais sans même le savoir. Les premières discussions avec tes locaux. Ces sourires et cet accent imbitable. Ce petit regard de malice et cette étincelle qui pétille. Cette conduite à gauche et ces toilettes ouvertes à tous dans les stations-services. Ces fumeurs qui ramassent leurs mégots pour les mettre à la poubelle au lieu de les laisser trainer par terre. Mes premières heures avec toi sont un moment inscrit profondément en ma chair. 

Plus tard, au cœur d’une petite ville nommée Ballina, j’ai tenté ma première sortie solitaire. Il ne faut pas oublier, ô sublime Irlande, que ce voyage constituait ma toute première expérience de travail à l’étranger et que c’était même la première fois de mon existence que je partais seul. Tu dois bien te douter qu’il n’y avait pas, à l’époque, tous ces blogs qui analysent, argumentent, décortiquent, dépiautent et résument chaque seconde d’un voyage. Il n’y avait pas tous ces trucs et astuces, toutes ces connaissances, bons plans, tuyaux et expériences. Il n’y avait que moi, seul face à mon désarroi et à ma peur d’être plongé dans l’inconnu. Avec mon anglais balbutiant, mon passé inexistant et mon manque de confiance absolu, j’ai avancé dans le noir et je me suis dirigé – littéralement – vers les lumières entr’aperçues au loin. J’ai trouvé un pub, je me suis assis au comptoir et j’ai commandé ma première bière. Instant d’éternité. Moment de bonheur. Souvenir exceptionnel.

Je pense souvent qu’un voyage ne peut se mesurer de façon objective. Tout est ressenti, perception, personnel. Il se peut qu’une accumulation d’expériences positives fasse dire, après moment, que “Ce fut bien. Vraiment.”. Or, ce qui s’est passé, ma belle Irlande, c’est que j’ai collectionné les moments de pur plaisir pendant ces deux semaines. Cette chanson de Christy Moore – Ride On – susurrée par un chanteur au coin d’un feu de bois. Cette leçon d’anglais dispensée par deux professeures à la retraire, un soir, autour d’une bière. Cette virée matinale pour aller voir la mer au sortir d’une nuit de débauche. Cette claque devant les paysages du Connemara. Cette chaleur humaine présente, palpable, partout et cette volonté d’aider, de ne pas laisser seul. Ces tournées offertes, sans rien attendre en retour. Cette patience pour raconter le pays. Ces sourires, cette verdure et ces sports étranges.

Plus tard, il a fallu repartir. Te quitter. T’abandonner quelques temps. Pourtant, au moment de monter dans le bus et me diriger vers l’amère Patrie, je n’avais qu’une seule idée, fixe, obsessionnelle, bouffante : revenir. Dès que possible. Je t’avais goûté et je t’avais dans la peau. Maintenant que je te connaissais, je ne pouvais imaginer ne pas te connaitre mieux, ne pas te revoir, ne pas te retrouver. Alors, c’est ce que j’ai fait. J’ai commencé à essayer d’en savoir plus sur toi, d’en apprendre encore et encore davantage. Depuis, bien du temps a passé. J’ai fait ce que j’avais dit. Dans mes études, dans ma vie professionnelle, dans mes écrits, tu transparais, omniprésente. De Limerick la rebelle à la beauté surréelle du Connemara en passant par les îles d’Aran, je ne cesse de te parcourir. Cela fait maintenant treize ans que je suis tombé amoureux de toi et jamais la flamme de cette passion n’est éteinte.  Tu sais, mon Irlande ? Quelque chose me dit que, toi et moi, c’est pour la vie !